« Voici un mauvais orage, tu l’acceptes, et tu le mesures »

« Modus omnibus » n’est pas une locution consacrée, elle est à manier avec précaution, mais elle introduit assez correctement la notion de mesure, le risque de l’hubris, et l’impératif de tempérance.

Pour lancer nos spéculations, donnons-lui comme traduction : « De la mesure en toutes choses ».

Dès les premières pages de Terre des Hommes, nous sommes en confrontation.

Une confrontation littéraire, philosophique, et terriblement vraie.

Vraie car nous somme convoqué(e)s. Interpellé(e)s directement, car le ton est impératif.

Saint-Exupéry a volé à une époque où les moteurs n’étaient pas aussi fiables qu’actuellement, et, surtout, il volait dans des conditions rendues rudes par la compétition que se menaient le train et l’avion dans l’acheminement du courrier.

Lire Terre des Hommes c’est faire connaissance avec une camaraderie, une fraternité : Guillaumet, Mermoz. Et c’est justement à propos de Guillaumet que Saint-Exupéry écrivit cette très belle phrase : « Voici un mauvais orage, tu l’acceptes, et tu le mesures« .

Nous pouvons, au moins, dégager trois temps dans cette phrase :

  • Voici : c’est la rencontre avec le danger. Ce n’est pas un « Ho ! » que la surprise nous arracherait, mais un « Voici » à la sonorité détachée, technique et froide.
  • Acceptation : nous retrouvons là l’assentiment propre au stoïcisme. « Honorer la menace » diront les lecteurs formés à l’aviation de guerre.
  • La mesure : qui ne peut se faire sans les deux étapes précédentes qui sont certes nécessaires, mais non suffisantes à ce que la mesure se fasse correctement.

Revenons aux premières lignes de Terre des Hommes, aux fameuses phrases au ton impératif et froid. Parmi elles, en voici une : « l’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle« .

Se découvre-t-il seulement ?

L’homme est-il la mesure de toute chose (1), ou « à » la mesure de toutes choses ?

Renversement copernicien me direz-vous ? Effectivement, l’envers du décor, est-ce les coulisses ou le public ? Qui vient à la rencontre de qui ?

Vous l’aurez remarqué, nous avons dérivé de la « mesure », aux étalons de la mesure. Le stoïcisme n’est jamais très loin car s’il convient de savoir se parler, il va de soi que la connaissance des mots entraîne la connaissance des choses et il est temps que vous soyez dirigés aux Pensées de Marc Aurèle en IV,3.

Ami(e)s, souvenez-vous que vous êtes attendu(e)s, faites vos exercices et restez opérationnel(le)s.

Bien à vous.

PHB.

(1) Nous aborderons le cas Protagoras selon les dialogues socratiques très prochainement.